En aparté

Silamaka Soukouna : "À 13 ou 14 ans, quand d'autres jouaient au foot, moi je faisais des gâteaux"

Pâtissier depuis plus de vingt ans, Silamaka Soukouna a travaillé dans plusieurs pays, palaces et restaurants haut de gamme avant de fonder sa pâtisserie dans sa ville d’origine, Fontenay-sous-Bois. Silaxpatisserie, située en plein cœur de la vieille ville, a ouvert ses portes en décembre 2021 et son succès est
retentissant. Parcours inspirant d’un artisan du goût et de la gourmandise.

Vu dans en villes, le mag de l'anru

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Plus jeune, vous avez vécu dans différents endroits. Pouvez-vous me raconter votre parcours ?

Silamaka Soukouna : Je suis né à Vincennes dans une famille nombreuse, et nous avons toujours vécu dans des logements précaires, passant d’un studio à des tentes en 1992, puis à des Algeco de la Croix- Rouge à Fontenay-sous-Bois, et enfin dans un pavillon de l’association. Nous y sommes restés une dizaine d’années, jusqu’à mes 17 ans. Aujourd’hui, ma mère a toujours un parcours locatif interminable, semé d’embûches, elle déménage de logement provisoire en logement provisoire. Elle n’a jamais pu s’installer et se projeter dans un « chezsoi » confortable. En grandissant, je me suis dit que je ne voulais plus cette vie, que je voulais offrir mieux à mes enfants. C’est aussi pour ça que je ne lâche jamais rien, que j’ai trouvé une voie

D’ordinaire, les noirs sont à la plonge, alors quand tu arrives comme pâtissier, ce n’est pas facile de se faire accepter et respecter

D’où est venu votre attrait pour la pâtisserie ?

Quand on vivait dans les préfabriqués de la Croix- Rouge, j’avais un ami chez qui j’allais souvent. Sa mère, Simone, passait beaucoup de temps dans la cuisine à préparer des desserts traditionnels : tarte aux pommes, gâteau au yaourt... À 13 ou 14 ans, quand d’autres jouaient au foot, moi je faisais des gâteaux chez Simone ! C’est elle qui m’a donné envie, m’a transmis l’amour pour la pâtisserie. Puis comme ça ne se passait pas forcément bien à l’école, j’ai décidé de me professionnaliser en faisant un CAP pâtisserie. À 15 ans, j’ai intégré un établissement à Perreux-sur-Marne en préapprentissage. Finalement, je n’ai pas passé le diplôme parce que j’ai été embauché comme commis chez Ladurée.

Après différentes expériences en France et à l’étranger, vous avez ouvert Silaxpatisserie à Fontenay-sous-Bois en décembre 2021. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?

La pâtisserie est un domaine très élitiste, assez fermé. Tout au long de mes expériences, j’ai perçu du racisme, j’ai senti que je dérangeais, que je n’étais pas à ma place, même si on m’a donné ma chance. D’ordinaire, les noirs sont à la plonge, alors quand tu arrives comme pâtissier, ce n’est pas facile de se faire accepter et respecter. C’est un milieu très blanc, des chefs pâtissiers noirs réputés, je n’en connais pas et c’est dommage. Au bout d’un moment, je me suis dit qu’il était temps de me lancer à mon compte. D’ouvrir ma pâtisserie, de prendre la place. Le confinement a été une belle occasion pour moi : j’ai commencé à faire mes créations à domicile, les vendre, gagner en notoriété sur les réseaux sociaux... Je voulais absolument ouvrir à Fontenay-sous-Bois, proposer autre chose, redynamiser le cœur de ville. J’ai pu le faire grâce à la commune, en répondant à un appel d’offres dans le cadre d’un outil de portage foncier qui me permet de louer mon local pendant 17 mois à un prix raisonnable.

Quels sont les résultats deux ans après ?

J’ai des amis qui me disaient que j’étais dingue de penser que je pouvais ouvrir une pâtisserie en tant que noir en France. Et finalement, on a du succès ! Notre clientèle est diverse, elle vient de partout, notamment des touristes qui nous repèrent sur les réseaux sociaux. On a vraiment réussi à rassembler tout le monde avec nos pâtisseries. Aujourd’hui, nos produits phares, le Paris-Brest, le CocoDjambo et le Mango Mango cartonnent. En moyenne, c’est cent Paris-Brest vendus par semaine !

Et Silax, ça signifie quoi ?

Venant d’un quartier, on a tous des petits surnoms qui restent dans le temps. Le mien était Silax puisque je m’appelle Silamaka. Ça me paraissait obligatoire de le garder, c’est une partie de mon identité.

Vous organisez des ateliers de pâtisserie dans plusieurs quartiers, est-ce une façon d’ouvrir la voie aux nouvelles générations ?

En effet, j’organise de nombreux ateliers culinaires dans les quartiers, partout en France – le dernier était à Stains. L’objectif est de valoriser et de faire découvrir les savoir-faire de la pâtisserie française, et de cuisiner ensemble mes créations signatures. Les ateliers sont gratuits et ouverts à tous. En moyenne, nous faisons deux sessions de trente participants, ça attire beaucoup de jeunes et de mamans. Selon moi, c’est très important de venir dans les quartiers pour partager nos parcours, nos compétences. Quand j’étais jeune, ce type d’initiative n’existait pas, ça manquait. Cela permet aux futures générations de voir qu’il y a d’autres choses que le foot ou le rap. Quand j’explique mon parcours, je leur montre que c’est possible de faire autre chose, de créer son entreprise, etc. Je sens que je deviens un exemple pour eux, que j’ai un impact. Aujourd’hui, il y a plein de jeunes de Fontenay qui ouvrent des petits commerces. À côté des ateliers de pâtisserie, je suis investi dans l’association Les chefs du coeur, qui intervient dans les orphelinats et les instituts médico- sociaux auprès des enfants en situation de handicap. Nous sommes plusieurs chefs à y participer. Avec la cuisine, nous arrivons à leur apporter un peu de joie et surtout leur apprendre des techniques de vrai chef ! Finalement, c’est aussi le coeur de mon métier : partager, réunir, donner du bonheur et du plaisir, car la pâtisserie reste une gourmandise.

Auriez-vous un message à faire passer aux jeunes générations ?

Je leur dirais d’écouter leurs rêves et d’y croire. Il faut s’en donner les moyens et ne jamais baisser les bras.

 

La pâtisserie est située en cœur de ville, au 3 Place du Général Leclerc, 94120 Fontenay-sous-Bois, France 

Site Internet www.silaxpatisserie.com

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